Le journaliste Angeli Mutabaruka a été qualifié de « gorille » une année après que la Miss Josiane Mwiseneza ait été qualifiée de « singe » : l’ivraie semée par le FPR.
Dans les années 1992-93, le Rwanda a connu une situation politique dramatique caractérisée par de violentes diatribes entre membres de différents partis politiques sur fond de guerre qui sévissait au Nord du pays entre les anciennes Forces Armées Rwandaises et l’Armée Patriotique Rwandaise. Ce mélange de violences physique est verbale a achevé la destruction de l’unité nationale qui avait été sérieusement entamée par les évènements socio-politiques des années 1957, 1959, 1962, 1973 et 1980.
Avec la guerre de 1990 le langage politique des années troubles après l’indépendance, a resurgi cette fois-ci avec une violence verbale certaine lorsque les compatriotes tutsis étaient qualifiés de cafards, de serpents, et d’ennemis du Rwanda. Cette déshumanisation a semé la haine dans la population envers une ethnie en faisant comprendre à ceux des autres ethnies que leurs compatriotes de l’ethnie tutsie devaient simplement être tués du fait de cette déshumanisation.
Cette rhétorique a persisté jusqu’au 06 Avril 1994 lorsque l’avion du Président Habyarimana a été abattu par des missiles sol air, ce qui a déclenché la machine à tuer, qui s’est acharnée particulièrement sur tous les Tutsi qui quelques mois auparavant avaient été pointés du doigt dans les discours de haine et qui désormais étaient de facto responsables de la mort du Président.
C’est cela la chronologie douloureuse du Rwanda. Mais ce qui est plus révoltant aujourd’hui est que l’on a rien appris de cette histoire.
Vers la fin de l’année 2018, une jeune fille appelée MWISENEZA Josiane, a décidé de partir de son village à pied pour aller présenter sa candidature dans le concours national de Miss Rwanda[1]. L’apparition de Josiane dans ce concours pourtant réservé à une certaine classe dont elle ne faisait pas partie a étonné plus d’une personne. Elle est en effet une fille issue d’une famille modeste et origine du milieu rural, néanmoins animée d’une détermination sans faille qui lui a attiré l’admiration et le soutien populaire. Elle a été, à la surprise de tous, propulsée sur le podium des 10 finalistes du concours.
Les rapports annuels de la Commission National d’Unité et Réconciliation au Rwanda font état de l’avancement spectaculaire de l’unité et la réconciliation retrouvées parmi le peuple rwandais. Rien ne laisse présager que la rhétorique semblable à celle des années 1992-93 vit son quotidien à l’heure actuelle dans le pays des mille collines. Les sympathisants et propagandistes du FPR connus sous le nom de « Intore[2] » se sont acharnés sur la pauvre fille Josiane, sous couverture d’anonymat sur les réseaux sociaux, ils l’ont qualifiée de tous les petits noms pour avoir osé s’aventurer sur un terrain qui pour eux ne lui appartient pas. Le plus inquiétant est de voir les gens se permettre d’utiliser un discours haineux en 2018, exactement semblable à celui d’avant le génocide, contre une personne, sous un silence complice total du gouvernement rwandais, en effet Josiane a été qualifiée entre autre de singe. On pourrait croire que le pouvoir du FPR ignore tout ça, ce serait se tromper. Par exemple, un jeune étudiant, mineur à l’époque des faits, Ashimwe Josué, avait partagé un article trouvé sur Google, jugé par le régime du FPR comme insultant pour le Président roi Paul Kagame, fait de la prison depuis 2016. Il y a aussi le cas d’arrestation spontanée d’un individu qui avait proféré des menaces contre les rescapés du génocide sur une antenne directe de radio à Kigali. Ce sont deux exemples parmi beaucoup d’autres qui prouvent que l’appareil étatique qui dirige le pays est omniprésent comme le « Big Brother » du Roman 1984 de George Orwell. L’inaction face aux attaques contre Miss Mwiseneza Josiane est révélatrice d’une complicité sans équivoque du FPR dans cette campagne de diabolisation et de déshumanisation de 2018-2019.
Apres Miss Josiane, c’est le tour du journaliste vedette Angeli Mutabaruka de la Télévision privée TV1 qui est actuellement la cible des fameux « Intore ». Son crime n’est autre que sa notoriété montante, des critiques qu’il fait en toute indépendance, et sa présence sur le plateau matinal d’une Télévision très suivie au Rwanda, une place qui, selon ses agresseurs, ne lui appartiendrait du fait de son ethnie hutue. Pour eux une personne hutue devrait avoir honte dans tous ses états comme le Secrétaire d’Etat Edouard Bamporiki en faisant des mea culpa interminables. Angeli Mutabaruka est insulté quotidiennement sur Twitter, des insultes à caractère ethnique dont l’objectif est de le décrédibiliser mais aussi de le déshumaniser. Il est souvent qualifié de « gorille ». Mais bon sang, pourquoi qualifier certains de serpents en 1994 et d’autres de gorilles en 2020 ?
Pour la période de 2020, c’est le résultat de la politique divisionniste du FPR à la base de ce constat malheureux. Lorsque le FPR fait tout pour que seule l’ethnie tutsie soit mentionnée dans la Constitution rwandaise, lorsque le narratif officiel du génocide se limiter à sacrer la victime tutsie et à abominer le bourreau hutu, lorsque les discours officiels du président rwandais ordonnent tous les Hutu y compris ceux nés dans les années 2000 de demander pardon pour des crimes qu’ils n’ont pas commis, lorsque ce même régime garde le silence radio quand les Hutu sont qualifiés de singes et de gorilles, tout en couvrant ce qui précède d’une mascarade appelée « Ndi Umunyarwanda – Je suis Rwandais », il y a à se poser des questions. Cette politique du FPR, avec toutes ces initiatives désastreuses pour la société rwandaise, est-elle accidentelle ? N’est-elle pas elle qui amène les gens à se lever et à qualifier Mwiseneza de singe et Mutabaruka de gorille? Pourquoi ces derniers n’osent même pas porter plainte, de peur de représailles ? Comment porter plainte lorsque celui qui vous insulte est celui qui gère la justice ?
Le récent rapport du Département d’Etat américain sur les droits de l’homme au Rwanda fait état de cette méthode utilisée par le FPR sur les réseaux sociaux pour intimider, réduire au silence toute personne visé par le système. Le fait que personne n’a été poursuivie pour des propos aussi violent à caractère ethnique contre Miss Mwiseneza et le Journaliste Angeli, démontre bien que le système du FPR est derrière cette machination. Celui qui pense l’inverse pourrait s’aventurer et formuler les même propos à l’encontre de l’ethnie tutsie, même si nous ne recommandons pas à quiconque de formuler les propos de haine et il verra ce qui va lui arriver.
C’est après avoir réalisé que le FPR avait semé volontairement une ivraie dans la société rwandaise, que cette ivraie gangrène le vivre ensemble des Rwandais, trois jeunes rwandais, NIYOMUGABO Gerald, KIZITO Mihigo et NTAMUHANGA Cassien se sont courageusement levés contre cette tyrannie et ont commencé à amener des Rwandais à s’asseoir autour d’ une table pour dialoguer et nager dans l’océan de vérité et de réconciliation, à militer pour une égalité parfaite des Rwandais sans distinction d’ethnie, de région ou de religion, à se sentir humain avant de se sentir Rwandais (‘Ndi Umunyarwanda ijye ibanzirizwa na Ndi umuntu’). C’est cette philosophie qui a été à l’origine de la célèbre chanson’ Igisobanuro cy’Urupfu -la signification de la mort’, qui vient de coûter la vie à KIZITO MIHIGO, qui est parti rejoindre son ami, NIYOMUGABO assassiné 5 ans plutôt.
On peut se poser la question si le calvaire rwandais aura une fin ? Sans aucun doute chaque tunnel a une sortie. Les messages de Niyomugabo et Kizito ne se sont pas éteints avec leur mort. Les propos de haine des Intore ne peuvent pas couvrir la flamme qu’ils ont allumée. Les mains sanglantes des tueurs du régime du FPR, les mensonges du régime et le divisionnisme ne peuvent pas couvrir leur message de réconciliation et de l’unité des Rwandais.
Ils laissent derrière eux une jeunesse déterminée, qui parfois en paye le prix de leur vie ou de la prison, déterminée à poursuivre le combat que leurs ainés ont impulsés pour la paix véritable et durable, la réconciliation et l’unité au Rwanda. La détermination de cette jeunesse puise son énergie dans la détresse de nombreuses personnes au Rwanda qui sont dénigrées, insultées, qualifiées de singe et de gorilles comme Angeli et Josiane. Ceux qui les appellent ainsi, savent pertinemment que dans l’Histoire récente du Rwanda beaucoup ont été qualifiés de serpents et en ont payé le prix de leurs vies. KIZITO MIHIGO dans sa chanson «Nous refusons que notre Histoire soit polluée –Twanze Gutoberwa Amateka » nous encourage à « tenir en compte d’où nous venons pour mieux épouser notre destination et refuser celui qui nous conduirait vers l’inconnu en faisant fi du passé », lui et NIYOMUGABO nous demandent de s’armer de courage, de tenir debout contre cette tyrannie et de changer le Rwanda pour plus d’humanité dans notre pays.
C’est l’essence même de la révolution Gacanzigo, pour en savoir un peu plus nous vous invitons à lire cet article : Guca Inzigo – Déraciner la rancœur/les vengeances dans la société rwandaise.
Kayinamura Lambert
[1] https://www.jambonews.net/actualites/20190111-josiane-mwiseneza-la-jeune-femme-qui-fait-vibrer-le-rwanda/).
[2] https://www.jambonews.net/actualites/20200304-les-intore-du-rwanda-un-endoctrinement-qui-inquiete/