SAMPUTU GRAVIRA-T-IL LA MONTAGNE GLORIEUSE DE L’HEROÏSME COMME KIZITO MIHIGO? CHOISIR ENTRE LA PEUR ET LE COURAGE.

Par Kayinamura Lambert

Selon une citation d’un auteur inconnu  «le courage, c’est d’être soi-même chaque jour dans un monde qui vous demande d’être quelqu’un d’autre». Une autre citation attribuée à Winston Churchill affirme que: «Alors que la peur est une réaction (normale), le courage est une décision (personnelle) ».

Kizito Mihigo et Jean Paul Samputu sont tous les deux célèbres, auteurs-compositeurs et activistes rwandais. Alors que nous célébrons toujours la vie exemplaire de Kizito Mihigo, nous prenons la plume pour écrire ces quelques paragraphes sur l’expérience que traverse en ce moment Jean Paul Samputu, un autre musicien rwandais de renom, qui a décidé de s’engager pour être un activiste pour la paix, le pardon et la réconciliation au sein desRwandais après avoir été éprouvé par l’amertume du génocide de 1994 comme Kizito Mihigo.

Samputu a presque 20 ans de plus que Kizito. Il a commencé sa carrière avant même la naissance de ce dernier. Pour les connaisseurs  de l’histoire de la musique rwandaise ne pourront pas le dissocier des Orchestres Ingeli et Nyampinga. Il a bien marqué les deux avant de commencer sa carrière solo.

Curieusement les deux chanteurs ont beaucoup des points communs.

Tous deux sont originaires du sud du Rwanda, une région qui a été profondément affectée par le conflit d’après le coup d’État du président Habyarimana de 1973 contre l’ancien président Kayibanda, un conflit qui sera connu sous le nom de Nduga-Kiga. Amplifié par la préexistante problématique hutu-tutsi résultant du passé mais surtout des événements de 1959, le conflit Nduga-Kiga fait jusqu’à présent partie des différends non résolus qui ont élargi le fossé déjà immense qui a détruit l’unité nationale rwandaise pendant des décennies jusqu’à ce jour. C’est dans ce cadre que Kizito Mihigo et Jean Paul Samputu verront le génocide se dérouler en avril 1994. Ils perdront tous leurs proches et parents et eux-mêmes survivront miraculeusement.

Jean Paul Samputu

Les deux deviendront célèbres grâce à leurs indisputables talents musicaux. Les détails sont connus. Ils seront également de fervents croyants, Kizito dans la foi catholique  et Samputu dans la mouvance pentecôtiste chrétien le « New Born Again ».

Outre leurs croyances religieuses, les deux artistes ont décidé de devenir des activistes engagés pour une noble cause: la paix et la réconciliation dans une nation rwandaise détruite et une société rwandaise brisée. Ils décidèrent ainsi d’utiliser leurs blessures pour soigner les blessés.

Cependant, ils l’ont fait différemment. Le point qui fait la différence entre l’approche Samputu et celui de Kizito est le «COURAGE». Celui que nous avons mentionné dans l’introduction de cet article. Kizito Mihigo a fait ce que peu de gens peuvent faire. Il a décidé de vaincre la peur et a renversé l’actuelle e narrative erronée de Kagame et de ses partisans qui travaillent sans relâche pour maintenir une partie du peuple Rwandais sous la honte perpétuelle de la culpabilité (Hutus)[1] et d’autres sous le sentiment éternel de la victimisation (Tutsis). Une politique bien calculée de diviser pour régner.  Kizito utilisera sa voix pour détruire progressivement ce récit divisionniste jusqu’à sa chanson ultime «Igisobanuro cy’urupfu» pour laquelle il a payé sa vie (https://www.youtube.com/watch?v=S2n8hTQl2lI). En écrivant cette chanson, Kizito n’écoutait que son cœur : «A tous ces frères et sœurs tués dans des atrocités non qualifiées de génocide, ce sont aussi des humains, je les commémore et prie pour eux» écrit-il par exemple. NABO NI ABANTU : ce sont des humains aussi, un message puissant qui contredit le récit déshumanisant établi sciemment par le FPR contre une partie du peuple Rwandais. Il l’a fait ouvertement avec un instinct décisif et une manière significative car il a fait le choix de le dire au Rwanda sur le terrain monopolisé par le FPR. Il savait apparemment ce qui l’attendait. Bernard Makuza et Ines Mpampara lui transmirent personnellement le message du Président en colère lui annonçant que s’il ne s’excusait pas, il allait mourir.  Il s’est excusé mais en vain car il a fini par être assassiné.

Peut-on oser dire que Samputu n’a rien fait? Ce ne sera pas juste ! Il a fait beaucoup. Après le génocide, il s’est précipité pour aller voir les siens dans son village. Aucune bonne nouvelle ne l’attendait. C’était juste pour se réaliser que l’assassin de sa famille lors du génocide de 1994 n’était personne d’autres qu’un vieil ami d’enfance. Samputu craqua. Il se sentit dévasté. Après une longue période de dépression, de colère et d’amertume, Samputu découvrait la guérison à travers le pardon. Il pardonna au meurtrier de ses parents. Et immédiatement il commença à prêcher la théorie de la guérison à travers le pardon dans le monde entier (https://www.youtube.com/watch?v=gRVjfRXt1Mc ).

C’est avec ce revirement qu’il a commencé à être vu d’un autre œil à Kigali par ceux qui soutiennent le régime autoritaire qui a fondé ses bases sur les manipulations des faits historiques et politiques et sur l’instrumentalisation du génocide pour asseoir son règne aussi longtemps que possible. Les objectifs de la politique évoquée ci-haut de diviser pour régner sont très éloignés du pardon et de la réconciliation nécessaires au Rwanda et pour lesquels militait Samputu.

Samputu a choisi de garder un profil relativement bas. Au lieu de sensibiliser au Rwanda ouvertement sur le pardon, il a décidé de survoler le sujet en se référant à sa foi chrétienne et préférant plutôt l’enseigner dans les capitales et les grandes villes du monde. Une différence notable avec Kizito qui a préféré parler à son peuple en quittant la Belgique en 2011 pour aller fonder sa fondation au Rwanda. Même lors de ses rares visites au Rwanda, Samputu a préféré de rester  relativement calme pour ne pas s’attirer les foudres de la machine du FPR de Kagame.

La stratégie de Samputu a cependant était  testée par l’assassinat brutal politiquement motivé de son jeune frère, survivant du génocide Kizito Mihigo au début de cette année. Lors de sa première apparition sur une chaîne Youtube pour en parler, Samputu était brisé. Il n’épargna aucun effort pour retenir ses émotions (https://www.youtube.com/watch?v=n1TFoLdclhs).

Après cet entretien, Samputu réapparaîtra, contre toute attente, sur la liste des panélistes des activistes qui se sont réunis pour commémorer ensemble le 26eme anniversaire du génocide de 1994. Ces frères et sœurs d’horizons différents, sans distinction de ce que l’on a considéré comme des ethnies ont décidé de perpétuer l’héritage de Kizito Mihigo. Ils étaient honorés d’être accompagnés par Jean Paul Samputu, un champion du pardon dans leur célèbre émission en ligne commémorative RIBARA UWARIRAYE. Mais devinez ce qui s’est passé?! Le régime de Kigali a activé son réseau et a fait pression et intimidé Samputu qui a décidé d’écouter sa peur plutôt que son courage et s’est retiré au dernier moment des panélistes annoncés! Beaucoup ont été surpris par ce geste de l’artiste.

La vie a continué  jusqu’à très récemment, lorsque Jean Paul Samputu  est réapparu de nouveau parmi les juges du concours de talents organisé pour commémorer l’anniversaire de Kizito Mihigo pour célébrer sa vie. Cette fois-ci la pression s’est accentuée. La grande majorité des Rwandais a pu écouter les messages audios WhatsApp fuités,  insultant la mémoire de Kizito et intimidant Samputu. Ils lui ordonnaient de ne plus être associé aux personnes en lien avec les activités de Kizito Mihigo, qui pour eux sont des «ennemis du Rwanda»!

Ni kuki ngukunda ukanyima amatwi, ukantera kubabara… Ce sont les paroles d’une vieille chanson célèbre de Samputu dans laquelle il envoie un message à quelqu’un qu’il aime mais qui ne l’aime pas en retour. Même maintenant, son message de pardon lui renvoie en écho des messages de haine et de colère de ses frères et sœurs.

Samputu fera –t- il preuve de courage en suivant son cœur ou les injonctions intimidantes des extrémistes du FPR?

Nous lui souhaitons le meilleur.

Kayinamura Lambert


[1] RANP ABARYANKUNA ne considèrent pas les Hutu ou les Tutsi comme des ethnies, cependant il est parfois nécessaire de regarder la problématique rwandaise sous l’angle Hutu-Tutsi pour mieux la saisir.